LE BOULET
Le petit homme se sent mieux depuis qu’il a mentalement brisé les chaînes qui l’attachaient à un boulet. Pendant longtemps, il a traîné cette sphère de plomb et, de peur de souffrir plus encore, n’a plus avancé. Peu à peu, il s’est étiolé et a pris le chemin de la mort, malgré ses prières de remerciement au soleil. Par chance, ou grâce divine, faute de réchauffer son corps malade, les rayons lumineux ont quand même éclairé sa pensée et brûlé ses scories émotionnelles. Il s’est alors imaginé sans boulet, déambulant tranquillement dans la forêt millénaire, si près de chez lui. En lui. Et le miracle est arrivé. Le petit homme a repris sa place dans la symphonie vitale. Quelques jours après sa libération, il a retrouvé une gravure offerte par une amie inconnue. Elle représente un fou musicien entouré de boules, portant un hibou sur sa main droite gantée. Il a compris soudain qu’il avait plutôt en mémoire, pour cette œuvre dormant sagement dans son tiroir, un homme tirant un boulet. Vaste tromperie du cerveau. Le petit homme ne cherche pas pourquoi. Au fond de son âme, il sait. Indicible. La gravure a elle aussi enfin trouvé sa place, à l’air libre, sur le piano.
Gravure : extrait de « La danse des fous » de Bruegel, par Michèle Pellevillain